Articles et nouvelles courtes
émotion

Il m'arrive d'écrire des textes qui ne sont ni des nouvelles, ni des débuts de romans, juste de courtes histoires, juste des mots qui se suivent, des idées, des moments qui se racontent. C'est ici que je les dépose, sans contrainte, sans limite, sans tabou, sans chercher à être ceci ou cela, je laisse faire les mots. Je les laisse vivre et grandir comme des feuillages cherchant la lumière.

Le pardon
Il y a cinq ans, alors que j'étais en pleine houle d'un divorce douloureux, une infirmière m'a dit , que je devais pardonner, et écrire une lettre à mon futur ex-mari, afin de lui demander pardon. Cela , à l'époque, m'a mise dans une colère noire. Il m'avait fait souffrir, beaucoup. J'avais renoncé à de nombreux rêves, submergée par la force de son autorité malsaine, et j'étais déchirée, entre un combat dans lequel je laissais chair et plumes, et le désir de trouver une forme de tranquillité.
Mais, bousculée que j'étais, entre un avocat qui me défendait mal pour la somme qu'il jugeait ridicule, de l'aide juridictionnelle, mon besoin de m'en sortir, et des soucis de santé qui pointaient le bout de leur nez pointu, le pardon m'apparaissait comme impossible.
La colère, la rancune, tenaient trop de place dans mon cœur et dans mon esprit.
Un soir, cet homme côtoyé pendant vingt sept ans, ce mari, qui avait si bien utilisé contre moi, ma confiance aveugle en lui, mes confidences, mes faiblesses, s'est comporté en père négligeant, déviant, envers notre plus jeune fille, qu'il gardait pour le week end. Elle avait douze ans. Elle venait de m'envoyer un sms. Il était tard, et il l'avait emmenée à une soirée poker. Elle, servait des verres d'alcool aux convives. J'étais outrée, je ne savais pas quoi faire. J'ai chaté avec un gendarme, et notre conversation a débordé sur le passé.
Je lui ai parlé d'un homme de vingt six ans, qui avait, un jour, entrainé une jeune fille de cinq ans sa cadette, chez ses parents absents. Il avait ouvert le clic clac du salon, puis montré à la jeune fille comment lui donner du plaisir sans l'obliger à renoncer à sa virginité. Le va et viens d'une main sur un sexe avide. Une main qui s'était retirée. Une jeune fille dégoutée, dont l'homme avait alors réclamé les lèvres. Quand elle avait dit non, il avait rétorqué que si elle refusait cet acte, il ne l'aimerait plus. Qu'un homme n'aimait une femme que si elle acceptait de se soumettre. Et elle, qu'il savait en manque d'amour, s'est soumise.
Des années plus-tard, le gendarme a mis des mots graves, lourds, sur cet acte. Elle, n'avait jamais su.
Ils étaient entrain de divorcer et il abusait de la peur qu'il lui inspirait. Il se jouait d'elle qui n'osait protester, mal défendue par un défenseur qui se jugeait trop mal payé pour avoir à se montrer efficace. Le futur ex , ne respectait pas les horaires pour récupérer et ramener leur fille. Il se riait de l'inquiétude légitime qu'il provoquait chez cette mère. Et ce soir-là, elle n'en pouvait plus, elle craquait, elle vidait son sac de rancœur et de douleur, en chatant avec un gendarme, dont elle ne verrait jamais le visage.
Le lendemain, se ravisant, elle envoyait un message. Elle regrettait ses confidences, leur gravité. La petite fille n'avait aucune conscience du comportement malsain de son père. Elle, la maman, ne voulait pas ajouter à ses possibles traumatismes. Le père tentait de la provoquer. Il voulait la heurter au travers de leur enfant, la faire réagir. Avoir encore prise sur elle. Pouvoir la blesser. Elle, voulait le bien de sa fille, même si ce n'était pas la bonne manière de faire . Y en avait-il une, d'ailleurs?
Alors, elle avait écrit au procureur de la république, au juge aux affaires familiales, pour leur expliquer, leur demander leur aide, pour que sa fille soit sous son unique garde. Lettres restées sans réponse. Et finalement, elle avait renoncé.
Le temps guérit tout, parait-il. La fillette a grandi, et est devenue une jeune fille équilibrée, belle, conciliante, forte, un bijou d'être humain, une beauté!
La mère s'est rassurée. Les blessures n'étaient pas profondes. Soulagées, diminuées entre l'intelligence de la jeune fille et l'amour de la mère. La bêtise cruelle du père n'avait aucune force. Elle, l'ex-femme, lisait, apprenait, s'instruisait de développement personnel et de maitrise de soi et de ses sentiments. En méditation, en prières, en acceptation, en compréhension d'elle-même. Et voici qu'un jour, une envoyée du substitut du procureur, la contacte. Cinq ans se sont écoulés depuis la discussion avec le gendarme, et elle réaliste combien la justice peut se montrer lente à voir, à réagir, à comprendre. Et que, finalement, ce n'est pas plus mal. Cinq ans plus tôt, elle se serait battue bec et ongles. Y aurait mis force et conviction. Aurait tout fait pour détruire la vie de son ex. Cinq ans plus-tard, tout cela n'a plus aucune importance. Le combat est ailleurs, s'il existe encore. Il s'appelle reconstruction. Et, comme elle s'en étonne! Pardon.
Ce mot surgit inattendu. Alors, elle se souvient de l'infirmière, et se surprend à sourire. "Attention, se dit-elle à mi-bois, pardonner ne signifie pas oublier, ou nier. Il m'a infligé de terribles blessures, ainsi qu'à nos enfants, et en cela, j'ai ma part de lâcheté et de non résistance à une autorité tronquée, illégitime. Celle d'un être brutal et irraisonné. Je sais , par cet intermédiaire du substitut, que j'ai le pouvoir de relancer une machine judiciaire. De le gêner, de le blesser, peut-être, à mon tour. Enfin. Et qu'ai-je à y gagner? Il est bon de détenir ce pouvoir entre mes mains. Et il est bon d'avoir conscience que je possède cette force contre lui. Et de réaliser que je suis plus forte encore, en décidant de ne pas m'en servir, mais de fermer la porte, simplement. De laisser le passé où il est. De décider que les blessures se guériront si l'on cesse de gratter les cicatrices et de les faire saigner. De lui pardonner sa sottise et sa cruauté, et de me pardonner ma lâcheté et ma fragilité. Cette force, que j'ai en moi, est bien plus grande qu'il ne pourra jamais l'être. Je suis plus forte que lui!
20 out 2024
Verdance (Bien sûr, ceci n'est que pure fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pur hasard. )

La difficulté de rester soi-même.
J'en ai fait l'expérience très souvent. Il arrive que l'on veuille à tel point réussir quelque-chose, s'en sortir, donner le meilleur de soi, plaire, satisfaire, la liste est longue... Que l'on est prêt à faire le sacrifice de sa propre vérité. Ce que je veux dire? Au fond de soi, on sait pertinemment, que ce qui nous est proposé ne nous convient pas, mais il nous est difficile, voir impossible, de dire non, de protester. On a l'impression que refuser ce qui nous est proposé, voir imposé, ce serait nous condamner aux foudres de l'autre, sa réaction de colère ou d'agressivité. A son jugement, à celui de nos proches, voir au nôtre. Peur de ne pas être apprécié, de décevoir, de se tromper.
Alors on accepte. Même à nos dépends. On nous a dit qu'il fallait dépenser de l'argent pour être " au niveau", pour "être prêt", investir en nous, car attention, si nous loupons le coche, nous serons fichu! L'angoisse monte, il faut montrer que nous sommes capable, que nous pouvons, face à un interlocuteur qui n'a aucune empathie et ne se soucie pas des conséquences, car il y en a. Nous avons beau tenter de protester, de dire que c'est difficile, l'autre insiste, nous fait plier, nous pousse dans nos retranchements, nous critique, et va jusqu'à, si nous résistons ou nous révoltons, nous dire que nous n'allons pas bien, que nous sommes démotivés, déçus par le rythme trop lent des résultats, tendus, ou que sais- je encore, et alors nous nous apercevons, que non seulement nos efforts ont été vains, mais que notre interlocuteur s'est carrément payé notre tête et continue de le faire . Alors, que faut-il en conclure?
Il ne faut pas essayer de plaire, de satisfaire, de convenir, et surtout pas suivre les directives d'une autre personne sur ce qui nous tient à cœur. Aimer ce que l'on fait, le faire de tout son cœur. Avec sincérité et plaisir. Le principale atout que nous avons, est la passion qui nous anime. Nous reposer sur un individu qui n'est nourri d'aucune passion et ne peut pas nous comprendre, comment cela pourrait-il nous apporter quoi que ce soit? Il ne faut chercher qu'en nous-même et dans le sourire des autres lorsque notre action les aide, les apaise, les soutient, leur apporte du bonheur. Le reste, ce n'est que du sable emporté par le vent.
Verdance

Elle a renoncé!
Petit dialogue bienveillant entre collègues.
-Bon sang! Elle avait une de ces chances! Et elle a renoncé! Quelle imbécile! Moi, à sa place...
-Mais tu n'y étais pas.
-Oui, c'est vrai, mais quand-même...Renoncer à cette chance!
-Peut-être n'en etait-ce pas une?
-Tu parles! On lui donne l'opportunité d'animer un truc dans un lieu incroyable! Super cool! Réputé et tout, et elle, elle annule, elle dit non, elle fait sa snob! Zut alors! On m'a dit qu'elle avait beaucoup déçu son monde! Que la direction de l'endroit était folle de colère!
-Elle non plus, elle n'a sans doute pas eu tous les éléments...
-Ouais, ouais, mais quand-même...Quelqu'un m' a dit qu'elle manquait de courage, qu'elle manquait de fiabilité, quelqu'un de pas recommandable, cette nana, on va pas lui faire une bonne pub!
-Et pourquoi donc? Parce qu'elle a annulé un truc? Parce qu'elle a préféré ne pas faire que mal faire ? Parce qu'elle s'y est prise plusieurs semaines à l'avance pour dire qu'elle renonçait ?
-Ben...Quand-même...
-Tu es sûre d'avoir tous les éléments?
-Je sais pas trop...
-Donc, en gros, tu parles dans le vent...
-Ben...C'est que...On m'a dit...Enfin, il paraît...
-Tu lui as posé la question? Quelqu'un lui a demandé?
-Euh...Non...Je crois pas...Je me suis rangé à l'opinion des autres, à ce qu'on m'en a dit...La personne qui m'a dit est fiable...Enfin, je crois...
-Mais elle, tu l'as écoutée?
-Ben non, je lui ai même pas parlé!
-Quelqu'un l'aura peut-être mise mal à l'aise, au point de la pousser à annuler cet évènement qui, pourtant, au départ, la réjouissait. Réfléchis bien. Crois-tu que l'on renonce à quelque-chose qui pourrait nous apporter beaucoup, peut-être; sur un coup de tête? Sans raison? Ne pense-tu pas plutôt que derrière, il y ait une raison plus profonde, qui, peut-être, soit liée à une tierce personne? Celle, justement, qui accuse avec tant de vivacité? Qu'en penses-tu?
-Eh bien...Que les apparences sont trompeuses, qu'il est vite fait de se faire une fausse opinion, et que j'avais tort.
-Une personne malveillante a vite fait de semer le trouble dans les esprits. Aussi faut-il toujours garder son libre arbitre et se faire soi-même sa propre opinion, en écoutant ce qu'ont à dire les deux parties...
(Comme on dit dans les films, toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pur hasard...)
Verdance.

Prise de conscience
Un matin, Jeanne a dû s’enfuir de sa maison. Elle y avait vécu pendant vingt-sept ans, élevé ses quatre enfants, pour fuir un mari qui ressemblait à un tyran. Elle ne connaissait pas l’appellation manipulateur narcissique. Tout ce qu’elle savait, c’est que peu à peu il avait imposé que l’on chuchote dans la maison, qu’on ne s’adresse à lui qu’avec crainte, que tout devienne feutré, dans une inquiétude quotidienne du moindre mot, du moindre geste.
Lorsqu’elle, Jeanne, voulait parler à son mari, elle s’astreignait à réfléchir longuement aux mots qu’elle emploierait. Se tordait les mains, baissait la tête au fur à mesure qu’elle s’approchait de lui. Et quoi qu’elle dise, quel que soit le ton qu’elle utilise, il la regardait avec un petit sourire froid sur le visage, acquiesçait lentement avant de changer soudain d’attitude, et de se mettre à hurler. Oui, c’était bien cela, des hurlements qui ressemblaient à des coups. Qui la heurtaient et la déchiraient au plus profond d’elle-même. Elle avait l’impression, jour après jour, semaine après semaine années après années, qu’il l’avait mise en pièce. Incapable, à cinquante ans, de s’exprimer autrement que par bouts de phrases, hésitations, raclements de gorge. D’ailleurs, souvent, quand elle anticipait le moment où elle devrait s’adresser à lui, elle était soudain prise d’une sorte d’étouffement. Comme si elle avait avalé de travers. Ses enfants la regardaient sans comprendre. Elle était là, le visage rouge, à manquer d’air, puis elle reprenait son souffle comme après une noyade. Sa noyade était longue, quotidienne, et un jour, elle le savait, elle ne pourrait plus reprendre son souffle.
Elle s’est enfuie avec ses enfants. Peu et mal aidée par une avocate convaincue que tous les couples finissent par rigoler de leurs mésaventures devant un verre, accoudés à un bar. Que les enfants pardonnent les insultes d’un père, que les femmes arrêtent de compter leurs blessures pour avancer paisiblement. Assistante sociale, RSA, Pôle emploi. La voilà qui se heurte à l’administration, où les structures se mélangent. Lui demandent de se justifier, d’aller vite, bien. De faire des stages, des ateliers, de rencontrer des employeurs potentiels, de se reprendre en mains.
Elle, épuisée, détruite, pense-t-elle, morcelée, en tous cas, voudrait simplement qu’on lui accorde un temps de pause. Elle voudrait réfléchir à ce qu’elle est, qui est-elle ? Elle ne s’en souvient pas. Elle voudrait un temps, simplement, pour reprendre son souffle, regarder l’horizon et choisir le chemin qui lui convient, chose qui, jamais, ne lui a été accordé. Jamais, par ses parents d’abord, par son mari, ensuite. Elle a cinquante ans, cinquante ans de soumission.
Elle a trouvé un petit appartement qui s’encombre de son passé et lui rappelle les heures sombres. Elle se soumet à tout ce qu’on lui impose, tête basse, comme elle sait le faire. Elle n’ose pas imposer la moindre décision de crainte que face à elle, on se mette à hurler.
Ses blessures ne sont pas apparentes, alors personne ne peut comprendre ce qu’elle vit.
Puis un jour, elle décide de dire non. De lire des livres écrits par d’autres femmes qui ont traversé des chemins similaires. De remonter, de revivre, de re-être. Elle se forme en deçà des structures, découvre son gout pour l’écriture et les autres. Une main se tend, et elle peut créer des ateliers dans lesquels, à son tour, elle aide des femmes à mettre des mots sur des douleurs. Alors, lentement, mais avec certitude, ses blessures se cicatrisent, et la peur s’éloigne. L'espoir peut revenir, peu à peu.
Verdance.

Ecrire pour vivre
Les mots sont venus vers moi. Je ne saurais pas dire autrement. J'avais huit ans. Mon Maître d'école avait évoqué un oiseau, une alouette, et cela m'avait touché, je ne saurais dire pourquoi. En rentrant de l'école, je dessinais toujours avant de faire mes devoirs( pendant aussi d'ailleurs), et cette fois-ci, tandis que ma mère faisait la vaisselle à quelques pas de moi, j'ai eu envie d'écrire. Ce n'étaient que quelques mots…
-Un vol silencieux,
Une douce calandre.
Là-haut, oui, dans les cieux,
Les ailes déployées,
Elle prend son élan…
Ma mère m'a demandé ce que je faisais et a douté que j'ai écrit ces mots. Elle m'a donné des sujets, et j'ai écrit. Ensuite, je n'ai plus arrêté. Bien des fois, je le pense vraiment, la poésie, l'écriture, sous toutes ses formes, m'a sauvé la vie. C'est devenu pour moi comme une seconde respiration, parallèle. On me donne un sujet, un mot, ou j'éprouve quelque-chose, et les mots viennent à moi, tout simplement.
Jeanne, c'est mon troisième prénom de baptême. En 2018, avec très peu d 'argent en poche, deux mille euros donnés par ma mère, ma voiture, mes enfants et mon chien, nous avons fui mon mari, j'ai eu l'impression de sauter dans le vide, d'une certaine manière. Mais peut-être qu'après tout, le vide, je le laissais derrière moi.
J'ai la sensation, à un moment, de m'être blottie en moi-même, car il y n'y avait pas de bras pour me serrer. J'ai compris que je devais agir pour ne pas couler à pic, car 2000 euros, quand on est seule avec quatre enfants et qu'on loue un petit 45 m carrés dans lesquels le border collie se recroqueville gentiment dans un coin, tandis que tous s'arrangent pour dormir où ils peuvent, sur le sol par exemple, cela fond très vite.
Puis à un moment, il n' y a pas si longtemps, je me suis souvenue que, depuis toujours, écrire était ma sauvegarde. Que je noircissais des pages et des pages de cahiers, et le bien que cela me faisait. Et j'ai pensé que, peut-être, je pouvais à mon tour aider des personnes qui avaient traversé les mêmes orages que moi. Fuite, divorce, difficultés financières(RSA), peur du quotidien, je connais si bien...C'est pour cela que j'ai décidé de me tenir aux cotés des personnes qui le vivent ou l'ont vécu. On peut trouver une issue. On peut aller de l'avant. On peut survivre à une personne qui a tout fait pour nous détruire. Et l'écriture est l'un des outils les plus puissants qui soient pour se défendre et se relever. Pour se protéger et se reconstruire. Ecrire peut sauver des vies.
Verdance.

Un grand ciel gris
Dehors, un grand ciel gris tout triste. Aucune envie de mettre un orteil à l'extérieur, même emmitouflé. Rien. Juste, peut-être, d'un bon chocolat chaud agrémenté de cannelle et de cardamone, et de quelques biscuits sur une assiette fleurie. Oui, mais que faire?
Eh bien, si vous preniez un petit moment pour vous ?
-Quoi ? Pour moi? Mais je n'ai pas cette habitude…
-Eh bien, changez d'habitude. Vous n'avez rien à faire de particulier? D'accord, un peu de vaisselle d'hier soir, une balle de linge à étendre, prévoir un truc ou deux, passer un coup de fil, écrire un mail...Ca y est ? Vous avez terminé? Ok, revenons donc à Vous. Oui, j'ai bien dis, Vous. Mais bien sûr que vous comptez, que vous avez de l'importance, vous en doutiez? Allons donc!
Mais non, je ne vais rien vous proposer de compliqué. Bon, si jamais vous habitez à Vienne, ma ville...(On dirait que je la possède dit comme ça...)Vous pourriez passer à mon atelier( trois petits étages à monter, et hop! Un lieu où exprimer votre créativité!) Mais si vous êtes seul(e) chez vous avec cette "pas envie" de mettre les pieds dehors, armez-vous d'un stylo, crayon, un machin qui écrive de votre choix , là aussi, vous êtes un animal en totale liberté! Mais oui, et l'animal que vous rêvez d'être en plus ! Un loup, un tigre, un oiseau, un dauphin, allez-y, rêvez! Déployez vos ailes, vos nageoires, l'espace de votre imagination vous appartient, personne d'autre que vous ne peut y entrer. Personne ne peut y mettre de frontières, vous êtes seul maitre à bord de votre imagination !
Et quoi ? Ecrivez ! Ecrire, c'est s 'approprier le monde, l'univers, c'est être tout ce que l'on veut être, c'est une totale, absolue, liberté!
Alors voilà, vous y êtes, continuez, tout ira bien, c'est vous, le maitre des mots…
Verdance 20 novembre 2023

Une idée du bonheur
Et si le bonheur ne tenait que dans quelques lignes? Et si se sentir bien, c'était simplement lâcher prises quelques heures, en laissant ses émotions remonter, exister, pleinement, sans se soucier de ce que les autres vont penser de nous? Et si, enfin, vous vous donniez le droit d'être sensible, d'être ému, d'être touché par un ressenti que vous aviez rangé bien au fond de votre cœur, par crainte de le voir surgir à un moment inopportun?
Vous avez le droit, dans mes ateliers, d'expérimenter vos émotions. Je dirais presque, de les gouter. Au quotidien, et ce depuis bien longtemps, on nous a appris à les brimer, à les taire, à les cacher. On nous a dit que ce n'était pas bien de montrer ce que l'on ressentait.
Bien sûr, on ne peut pas, à tout moment, laisser couler nos larmes, laisser éclater notre colère, nous laisser déborder par la mélancolie.
Mais justement, s'il existe un endroit où il est possible de les exprimer, ces émotions, de mettre des mots sur elles, de les ressentir et de les apprivoiser, alors il est plus facile, dans la vie quotidienne, de les gérer. Une émotion comprise, un ressenti exprimé, ce sont autant de barrières qui vont tomber et vous permettre de vous sentir plus fort(e), plus conscient, plus apte à faire face aux difficultés.
Ecrire est salvateur. Ecrire est bienfaisant. Ecrire, c'est réaliser que les mots ont une force immense. Qu'ils peuvent dire ce que nous éprouvons et nous permettre de le comprendre afin de l'accepter.
J'ai pensé mes ateliers afin qu'ils vous apportent la possibilité, l'opportunité, d'être vous-même. D'apprendre à mieux vous connaître, tout en passant un moment agréable et convivial autour de l'écriture. Alors, pourquoi hésitez-vous?
Verdance.

Les aléas de la vie
Cela nous arrive à tous, on se lève le matin, et quelque-chose ne va pas. La télévision refuse de s'allumer, on a une douleur nouvelle et lancinante dans l'épaule, une lettre pas sympa nous attend dans la boite à lettres...C'est difficile de ne pas se laisser submerger par le négatif. De ne pas se prendre la tête dans les mains, en se laissant happer par le cafard. Pourquoi ces ennuis nous arrivent à nous ? Pourquoi justement aujourd'hui?
Et si nous regardions les choses autrement?
Peut-être que nous devons ouvrir les yeux sur quelque-chose. Prendre d'avantage soin de nous, être plus attentif à des choses importantes que nous avions négligées, prendre du recul par rapport à ce à quoi, justement, nous accordons de l'importance, et ce qui en a réellement. Non, bien sûr, ce n'est pas facile. Je ne suis pas convaincue que des choses faciles existent. Je crois d'avantage à l'intérêt que nous leur portons.
Pourquoi je vous raconte cela? Parce que, justement, ce matin, ma télévision a fait écran noir. Qu'en faisant la vaisselle de la veille j'ai ressenti une douleur à l'épaule, et que dans ma boite à lettres que je n'avais pas ouverte depuis vendredi, m'attendait une lettre pas super sympa. Me laisser abattre? Non! Je le cri haut et fort, non ! Ecrire! Ecrire encore et toujours! Regardez autour de vous, vous trouverez, dans les moments difficiles, une chose, un objet, une couleur, un son, qui pourront vous émouvoir, et vous inspirer. Prenez ce temps, pour vous, de poser ce qui vous préoccupe, plutôt que de le porter à bout de bras au risque de vous épuiser. Si la vie n'était faite que de bons moments, comment pourrions-nous en prendre conscience et en gouter toute la saveur?
Non, je ne dis pas Youpi aux aléas de la vie! Je dis que nous ne pouvons pas passer au travers, mais que nous pouvons les édulcorer et les supporter grâce à l'écriture.
Alors, la prochaine fois que tout va mal, prenez un crayon, un papier, et écrivez! Ne lâchez pas l'affaire jusqu'à vous sentir mieux. Vous aurez peut-être noirci quelques pages, dédramatisé la situation, vous vous sentirez peut-être soulagé , ou à même de régler les choses avec plus de calme. Ce sera plutôt bien, n'est-ce pas ?
Verdance.

Un geste d’amour
Ecrire, c'est d'abord un geste d'amour envers soi-même. Comment? pourquoi?
Hier après-midi, j'avais un rendez-vous, et, comme d'habitude, j'étais très en avance. C'est mon truc à moi, pour ne pas être en retard. Je flâne un peu, du coup, à regarder les vitrines des boutiques, à m'inspirer, à découvrir. Là, dans l'une des vitrines d'un joli magasin Viennois qui vend des articles magnifiques pour le dessin et l'écriture, un papier à lettres somptueux. Il était illustré de reproductions de tableaux de maîtres, délicat, raffiné, et...Couteux. Il donnait envie d'écrire des lettres, à soi et aux autres...Quoi? S'écrire des lettres à soi-même?
Et pourquoi pas? Ecrivez-vous des mots d'amour, postez-les et recevez-les quelques jours plus-tard, peut-être serez-vous dans un moment un peu tristounet où vous serez contente de recevoir un message d'amour, même s'il vient de vous.
D'accord, je m'égare, je n'ai pas répondu aux deux questions, comment et pourquoi ? Toute à mes histoires de joli papier à lettre qui donne envie d'écrire à quelqu'un.
Lorsque vous écrivez, dans votre salon, ou dans un atelier d'écriture, intuitivement, spontanément, comme si vous vous promeniez et laissiez errer vos pas au détour des chemins sans chercher vraiment à aller quelque-part, juste apprécier l'Ici et maintenant, eh bien lorsque vous faites cela, vous vous offrez de l'amour. Vous dénouez des ficelles entremêlées dans votre cœur. Vous enlevez des freins et des craintes. Vous allez tranquillement à votre propre rencontre. Vous vous passez des messages que vous refusiez d'entendre et qui, pourtant, sont là pour vous faire le plus grand bien.
Donc, oui, en effet, écrire est un geste d'amour à vous-même, et aux autres, bien sûr, puisque ce qui vous fait du bien, renforce votre facilité à échanger, à partager, à observer et à comprendre. Accentue votre capacité d'empathie.
Par conséquent, écrire, c'est tout positif, ressourçant, bienfaisant, agréable. Comment? Vous êtes timide? Vous avez peur de ne pas savoir?
Une feuille, vous, quelqu'un pour vous accompagner et vous proposer des jeux d'écriture afin de guider les premiers mots, si vous venez à l'un de mes ateliers. Et tout va bien. Vous n'avez rien à craindre.
Verdance.
Le coup de fil
Le sel est posé sur la table, avec sa baleine souriante sur l’emballage bleu. Je la fixe, cette baleine, à m’en faire éclater les yeux. Si j’arrête, si je reviens à la réalité qui m’entoure, je ne pourrais pas survivre. Ils vont me happer. Dévorer tout cru mon cerveau et ma conscience. Jusqu’à mon cœur et peut-être mon âme.
Dehors, mon chien gratouille à la porte. Il voudrait entrer. Je suis incapable de me lever et d’aller lui ouvrir. Ce serait revenir dans le monde réel, et ils auraient ma peau. Le chien gratte. Il entend, il sent, il sait tout de ces humains qui se déchirent, et de la petite fille prise entre eux. Il voudrait me protéger, leur montrer les crocs. Mon père lui assènerait un coup de pieds dans les cotes pour le faire taire. Ce n’est qu’un petit chien, un loulou de Poméranie. Il ne pourrait ^pas de défendre, il tomberait sur le coté en couinant, comme à chaque moi, et se relèverait pour aller lécher son pelage, dans un coin sombre de la pièce. Il n’y a presque que cela, des coins sombres. Ou bin plutôt, quelques coins de lumière dans toute cette obscurité.
Mes parents hurlent. Une femme téléphone tous les jours à la même heure. Elle demande à parler à mon père qui se défile en allant se coucher. Il monte à pas lourds l’escalier vers les chambres, s’éloignant du danger que représentent deux femmes qui s’affrontent, même à travers le combiné d’un téléphone. Il nie avoir une liaison. Il montre à ma mère ses mains sales, ses pieds boueux, lui fait sentir la transpiration sur son t shirt, tend ses paumes usées par le travail. Explique qu’aucune femme ne voudrait de lui dans son lit. En veut-elle, elle ? Sa propre femme ? Alors ! Alors ! Pourquoi une autre ? Ma mère tient le combiné serré dans sa main. Elle demande « qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ? Dites-moi votre nom ! » Et elle me tend l’écouteur pour que j’entende, moi qui ne suis qu’une petite fille. « Tu vois ce que me fait ton opère ? Tu entends ce que dit cette femme ? Elle couche avec lui ! Elle couche avec lui ! « Je ne sais pas ce que cela veut dire, mais je comprends que cette femme nous fait du mal.
Je dis à ma mère : « raccroche maman, raccroche… »
Mais elle insiste, elle hurle, elle gémit. Elle m’envoie chercher mon père. Je lui dis que ce n’est pas une bonne idée, il est en haut, il dort surement, il est fatigué, il sera en colère. Alors c’est après moi qu’elle crie : « vas le chercher ! dépêche-toi ! Tu n’aimes pas ta mère ? Obéis ! »
Je monte, j’hésite, j’ai peur. Quand il est en colère, c’est tout l’orage du monde. Je l’appelle : papa ?
-Quoi ?
-Maman veut que tu descendes.
-Non !
-Mais maman veut que tu descendes…
-Laissez moi dormir tranquille bon sang !
En bas, ma mère qui hurle : Laurent ! Descends parler à ta maitresse !
J’entends le lit qui grince. Les pas de mon père, ce géant, qui traverse les chambres, me bouscule, me pousse, descends. Je le suis en m’excusant, il arrache le combiné ma mère, crie dans le téléphone, contre les deux femmes l’une après l’autre. Il pleure aussi. Et ma mère continue de lui hurler après. Il se défend : Tu ne vois pas que c’est une folle ? Quelqu’un qui veut nous faire du mal ? Tu ne vois pas ?
Mais ma mère insiste, et soudain, il raccroche et s’assoit. A sa place, en bout de table. Ne sachant pas quoi faire, je m’assieds aussi, à sa gauche, les coudes sur la table, à regarder le sel, tandis que ma mère continue de crier.
Soudain, mon père pousse un cri de rage. Il saisit la table de bois et la renverse comme si elle ne pesait rien. De l’autre côté, ma mère, stupéfaite, et moi, qui le vois bondir sur elle. Elle se jette au sol, se recroqueville, et il la frappe. Alors je me jette sur elle pour la protéger et mon père continue de frapper mon dos et tout à
coup, il réalise qu’il ne frappe pas sa femme mais sa fille et il s’arrête, recule, se laisse tomber sur sa chaise en pleurant. Sur la table, à coté du sel, il y avait une bouteille de vin qui a explosé en tombant. Mon père voit le morceau de verre fiché dans mon bras et redouble de larmes : Je ne voulais pas te faire mal, je ne voulais pas …
Le sel a roulé au sol, dans un coin de la pièce, et tandis que le chien gratte avec frénésie contre la porte, la petite baleine continue de sourire.
Verdance.

La rencontre
Ce matin, le fleuve semblait fait de métal liquide. Sa surface mouvante était d’un beau gris sombre. Il était environ sept heures, et la ville entière était en noir et blanc sous un ciel plombé par l’orage. J’adorais et je craignais cette sensation que l’univers avait tout à coup perdu l’intégralité de ses couleurs, que le monde allait peut-être demeurer ainsi, gris et blanc, avec des ombres noires, comme un crayonnage à la mine de plomb. Les contours étaient parfaits, tout était d’une incroyable beauté, mais en même temps, tout était d’une tristesse absolue.
A présent, assise dans mon salon, j’écoute le bruit battant de la pluie. Si je ne regarde pas dehors, je pourrais croire que je me trouve près d’une cascade, un flot vif, une chute d’eau violente. Quand je regarde, le ciel est invisible, ou plutôt, le ciel bleu que j’aime regarder, est invisible. Remplacé par un grand drap de toile grisâtre que l’on a étendu au-dessus du monde.
Les bâtiments sont balayés par la pluie, lavés de leur poussière, le sol ruisselle, les arbres proches déploient l’intensité de leur couleur, tandis qu’à l’horizon, les ombres de la foret sont d’un noir délavé. Je voudrais descendre les étages, me tenir sous la pluie et la laisser ruisseler sur moi, me nettoyer de tout ce qui me blesse, me fait mal, m’encombre. Mais que diraient le gens ? Ils me regarderaient sans comprendre, me jugeraient. Ah, le regarde des autres…Il a tellement d’importance, de valeur, alors qu’en vérité, il n’en a aucune. Ceux qui me regarderaient avec mépris, le feraient peut-être pour cacher leur envie de faire la même chose, et leur impossibilité d’oser le faire. Est-ce que, moi-même, je juge le bruit des autres, leur attitude, avec tant de dureté, parce que je les envie de la liberté qu’ils s’octroient et que je m’interdits ? Peut-être…Liberté de crier quand bon leur chante, de bricoler à deux heures du matin, de mettre la radio à tue-tête le dimanche après-midi, de s’invectiver, d’une fenêtre à l’autre, en hurlant. Liberté de laisser leur animalité prendre le dessus, lorsque je me calcifie dans ma pudeur, que je m’y enferme comme dans un carcan.
Hier, par exemple, il y avait cet homme, nous étions dans un vide grenier, sous un ciel bleu d’une beauté à couper le souffle. Il suffisait de lever la tête et de le contempler pour en être étouffé d’amour et de bonheur. Le terrain vague se trouvait tout près d’une rivière, prise dans les méandres d’une colline basse. Un endroit charmant où j’aurais aimé aller m’asseoir, mais j’étais accompagnée de l’un de mes fils, et je n’ai pas osé le proposer, je sais que mes enfants n’apprécient pas beaucoup de se poser dans la nature juste pour le plaisir de contempler.
Je me suis approchée d’un stand où l’on vendait des livres. Sans regarder le vendeur je parlais avec lui. C’était un homme et je ‘n’aime pas les regarder directement, ils me mettent mal à l’aise, à cause de ce que j’ai vécu avec l’un d’eux. Il m’a demandé ce que je cherchais et j’ai répondu, de la littérature japonaise .Il avait un livre, il le cherchait avec moi et je lai trouvé avant lui. C’était un livre d’un auteur que je venais de découvrir, je lisais l’un de ses romans pour la première fois, et j’étais happée par la qualité de son écriture, sa facilité à tenir le lecteur par le bout du cœur et de l’esprit, suspendu à sa plume. J’ai mis la main sur le livre, il m’a demandé si j’avais déjà lu cet auteur, j’ai répondu que j’étais en pleine lecture de son roman consacré à la course (sujet qui ne me fascinait pas de prime abord), il m’a conseillé un autre de ses livres, et j’ai levé les yeux. Je ne dirais pas qu’il était beau, ses cheveux bruns grisonnaient, je crois qu’il portait une casquette, il avait un visage mince, halé. Des yeux sombres. Ce qui était intéressant résidait dans son regard et dans sa voix. Mais aussi dans sa manière de s’exprimer. Il y avait une douceur, une empathie, une intelligence, une écoute, une compréhension. Je me sentais étonnement à l’aise en sa présence, à parler avec lui de littérature japonaise. J’ai payé le livre, je me suis éloignée, et chaque pas était devenu lourd. J’avais envie de lui parler d’avantage, de rester avec lui, de lui donner ma carte, je n’osais pas. J’étais avec mon fils et cela me gênait de « draguer « en sa présence. Je lui ai dis que cet homme me plaisait, il m’a dit « vas lui donner ta carte » et même avec son accord, je n’ai pas osé. Nous avons continué la brocante, et j’avais envie de retourner voir cet homme, d’établir un lien, de ne pas le perdre. Puis nous sommes retournés à la voiture, encore une fois, j’ai voulu dire à mon fils de m’attendre, le temps que je retourne vers cet homme, mais je n’ai pas osé. Je n’avais échangé que quelques mots avec lui, cela suffisait-il pour qu’il me plaise ? pour que je cherche à aller plus loin ? Quel regard avait-il posé sur moi ? Sans doute était-il en couple et de quoi aurais-je l’air ? Bien sûr, je n’aurais fait que lui donner ma carte, il pouvait la jeter, ou, si je lui plaisais, m’envoyer un message. Jamais je n’avais eu l’opportunité de parler littérature avec un homme, non pas littérature » intellectuelle », styles, genres…Non, il n’était pas question de comparer ses connaissances ou son intelligence, nous n’étions pas dans un duel à qui sait mieux que l’autre, nous étions dans un échange réel, à propos d’un auteur que nous aimions tous les deux, et dont nous parlions tranquillement, en pleine compréhension de ce que nous ressentions, chacun, pour cet auteur et pour son œuvre.
Jamais, au cours des vingt sept années de mon effroyable mariage, je n’avais pu échanger ne serait-ce qu’un moment, avec mon mari, sur une œuvre, un livre, un écrivain. A chaque fois, il augmentait le niveau sonore de la télévision et me faisait comprendre d’un geste de la main ou d’un claquement de langue, que je l’agaçais. Il était inutile d’essayer d’échanger, de tenter de lui faire comprendre mon émotion, mon questionnement, ma gourmandise, il n’y entendait rien.
Finalement, je suis montée dans la voiture et nous sommes partis. Et cet homme n’a plus quitté mes pensées. J’ai prié pour le revoir, pour avoir une seconde chance de lui donner ma carte. Pour qu’il croise une fois encore mon chemin.
Quel est le lien avec la pluie, l’orage et le ciel blanc ? Le lien se trouve dans cette envie de descendre et de me mettre sous cette pluie battante pour en sentir toute la fraicheur sur moi. Et le fait que je n’ose pas. Je n’ose pas vivre. Je n’ose pas exister. Je me l’interdits. Alors, est-ce que je dois descendre les étages et aller me mettre sous la pluie et me laisser tremper par plaisir sous le regard des voisins ?
Non, je ne crois pas devoir profiter de cette liberté. Mais, si cet homme vient à passer une nouvelle fois sur ma route, et je le chercherais, oui, je le chercherais, alors, j’irais vers lui, je lui donnerais ma carte, je lui dirais qu’il est intéressant de parler avec lui, et je verrais bien où cela me mène, quel mal ferais-je à établir une passerelle entre lui et moi…
Verdance.

Le rituel d'amour
Tous les soirs à dix neuf heures, ma mère avait un rituel. Soit qu'il la rassurat, soit elle avait appris à faire cela de sa propre mère et le repetait simplement.
Nous montions à l'étage, dans les chambres glacées, et faisions les lits. Nous enlevions toute la literie, la posions sur une chaise, puis, méticuleusement, nous remettions les draps et les couvertures( pas de draps housses à l'époque, mais de grands draps plats de cotons craquant que nous étirions pour ne pas laisser un seul pli. Puis ma mère le lissait de la main, longuement, sur toute la longueur et la largeur du lit, comme une caresse, l'une de ces caresses qu'elle était incapable de me donner, une tendresse adressée à des choses inertes. Sa main glissait dans un geste d'une beauté extraordinaire, créant l'ordre parfum dans ce tissu ancien, bruissant, qui obéissait à son geste et accordait sa perfection la plus totale.
Il en allait de même pour le drap du dessus, qu'elle plaçait de manière parfaite, avant de déposer les couvertures une à une, et de replier le bout supérieur du drap pour les retenir ensemble, et border le lit consciencieusement, comme si de cette tâche dépendait une part de sa vie. Peut-être était-ce le cas après tout, pour que ses nuits soient réparatrices, lui fallait-il un lit qui la reçoive sans le moindre pli.
Si jamais, en l'aidant, je disposais mal l'ensemble, elle claquait de la langue avec impatience, et, d'un geste sec, redéfaisait entièrement le lit. Cela m'apparaissait comme un art ancestral, une transmission de savoir qu'elle m'accordait. Mais tout cela était trop pour moi. Je ne me suis jamais sentie capable de reproduire ses gestes. Peut-être ne l'ai-je jamais voulu. Placer le traversin bien droit, positionner les deux oreillers de façons symétrique, attention, pas comme ça ! Puis, enfin, terminer par l'énorme édredon qui venait parfaire à la fois le confort et la beauté d'un lit de campagne qui se voulait tout simple, draps de coton rêche, édredon cousu par ma grand-mère, chambre glaciale, mais qui se révélait être d'un confort magique. Qui pouvait me protéger contre les nuits froides, lorsque le gros poêle à mazout allumé une heure avant mon coucher, s'éteignait dans un concert de grondements et de ronflements de bête.
Ces lits étaient peut-être les chefs d'œuvre de ma mère, ses bonheurs.
Toute l'attention qu'elle leur donnait, tout ce dont elle était capable.
Tout cet amour, ce temps.
De mon coté, j'aimais monter avec elle dans ces chambres simples où l'ameublement était sans importance. Ma mère n'accordait guère d'intérêt à la décoration. Un ensemble lit-armoire-chevet imitation acajou, un coffre pour ranger ses secrets, un fauteuil d'osier couvert d'ours et de poupées gagnées à la fête foraine. Sur cheminée, sa boite à bijoux débordante de colliers fantaisie multicolore, dans lesquels j'aimais plonger la main pour la texture, la gourmandise du toucher, la sensation froide des perles et du métal, souplesse, rondeur, entrechoquement, glissement, sensualité sur mes doigts enfantins.
Puis, comme je devais l'accompagner dans on rituel, qu'elle me rappelait à l'ouvrage, nous parlions. C'était le moment idéal. Concentrée sur sa tâche, elle l'était peut-être, en même temps, sur son histoire. Sur tout ce qui la poussait à accomplir ces gestes. Et alors, il était facile de lui faire évoquer son enfance, son adolescence, sa vie.
Quand elle parlait d'elle, loquace, linéaire dans son récit, elle évoquait des images vivantes, vibrantes, qui se déroulaient devant moi, comme un long tissu sur lequel je pouvais voir, brodées, les périodes de son existence. Elle en traçait le déroulement u rythme de ses gestes, à la fois calmes et précis, dans lesquels, cependant, je décelais une profonde angoisse. Celle, peut-être, d'avoir conscience que toute sa vie n'était que cela. Un labeur. Une difficulté. Une nécessité. Un devoir.
Quoi qu'elle ait vécu ou fait depuis son enfance, tout n'avait été conditionné que par ces seules priorités. Les sentiments, les émotions, n'y avaient pas leur place. Cependant, derrière ce voile de pudeur et d'acharnement à être parfaite, je sentais confusément un être hypersensible, à fleur de peau, qui se cachait de toutes ses forces, et que j'aurais aimé atteindre.
J'aurais voulu oser tendre la main au dessus du drap, saisir la sienne, la serrer, dire à ma mère que je l'aimais comme ces milliers d'étoiles dans le ciel. Qu'à mes yeux, elle avait le même éclat. J'aurais voulu défaire ce lit qu'elle voulait si parfait. En laisser pèle mêle les draps et les couvertures, sur le sol, et l'entrainer derrière moi, hors de cette existence rigide, constituée de fatigue et de lassitude. L'emporter dans mes rêves, où elle était une mère joyeuse, rieuse, qui me serrait entre ses bras et me disait qu'elle m'aimait.
Mais tendre la main vers elle, et risquer de froisser le drap, c'était s'attirer son courroux, sa critique, et l'entendre me dire qu'elle ne pleurait pas, car elle avait épuisé sa réserve de larmes. Je me demandais si c'était possible, si nous avions un stock de chagrin qui, un jour, n'existait plus. Mais alors, pourquoi n'était-elle pas enfin heureuse, si elle n'avait plus de larmes ? Réflexion d'enfant. De petite fille qui, égoïste , ne souhaitait qu'être aimée, ignorant que de l'autre coté du lit, cette personne qui était à la fois simple et multiple, n'avait nulle part en elle, d'exemple d'amour et nulle ressource de force, ni peut-être, d'intelligence, pour essayer d'être capable, pour se forcer à donner ce qu'elle n'avait jamais reçu. Aurais-je voulu qu'elle s'y oblige? Non, j'aurais voulu que ce que j'étais devant elle, la tente, la pousse à s'abandonner à aimer. Lui en donne l'envie. Provoque sa maternité. Mais force est de constater que rien en moi n'était apte à faire naître sa tendresse, son attention, sa vigilance. Sa douceur. Tout ce qu'elle accordait à un simple drap.
Peu importe, elle se racontait sans filtre, et , déjà, elle me donnait son histoire, tout ce , sans doute, qu'elle pouvait donner, et j'en saisissais le fil que j'entortillais autour de ma mémoire. Elle évoquait une fillette de six ans que tout le monde appelait "Lulu3, et parfois, sans qu'elle s'en rende compte, toute à la fois à son labeur et à son récit, je me reculais, la lissant seule, pour l'observer, en retrait, appuyée contre la cheminée sombre. J'avais alors l'impression d'être spectatrice d'une scène de théâtre. Au premier rang, dans l'ombre, et de voir une machine humaine alambiquée, obscure, souvent sournoise, se mouvoir en gestes saccadés puis glissants, tantôt ride et tantôt souple, féminine et primaire, plongée dans une gestuelle robotique puis caressante. Confusion de personnalités et de positionnements par rapport aux choses et à elle-même. Et par rapport à moi.
Je la regardais, petite et frêle, bien que ronde, portant toujours un tablier à fleurs à large poche ventrale sur des jeans évases et des chemisiers fluides sous lesquels ses seins étaient deux petites présences souples, pointues, que je n'ai jamais pu seulement apercevoir dans leur nudité. Ni toucher, ni frôler, ni téter. J'avais, à ma naissance, disait-elle, eu l'offrande de cette petite poitrine. Mais plutôt que d'accueillir le lait, j'avais mordu de mes gencives de nourrisson, le téton proposé, et ma mère, affolée, avait choisi de me repousser, de me refuser, dorénavant, le lait maternel, j'étais trop vorace pour sa fragile poitrine.
Ainsi un nouveau-né pouvait-il se refuser à lui-même la chaleur maternelle par la maladresse d'un coup de gencive. Qu'avais- je donc à vouloir mordre, des ma naissance ?
J'aurais voulu avoir su la téter. Avoir su être douce avec elle, pour ne pas l'effrayer. Peut-être m'aurait- elle aimée? Peut-être pas. Comment savoir? Il est trop tard depuis longtemps.
Verdance.

Papa
J'ai au dessus de moi un ciel tacheté de nuages blancs, qui s'effilochent comme pour construire un grand lainage. L'été s'est installé, et les fleurs du jardin rivalisent de couleurs et de formes, dans un mélange capiteux de parfums. Là, un lys blanc, ici, le rosier rouge aux petites fleurs à peine écloses, qui tend ses têtes sanguines au delà de la pergola. Les freesias s'inclinent, tant ils sont lourds, et les astilbes semblent caresser ce qui les entoure, de leurs longues longues hampes duveteuses.
Près de moi, la clématite rose part à l'assaut du mur avec l'acharnement de ces longues plantes qui se construisent, quel que soit l'obstacle qu'on leur présente. Comme certaines personnes, qui n'ont pas le choix. Je pense à toi moins souvent qu'au paravent, et en même temps, bien plus.
En fait, tu es devenu une présence sous jacente. Dans la ressemblance de mon fils avec toi. Cette manière qu'il a, de sourire, quand il veut cacher quelque-chose, ou lorsqu'il plaisante. Cette fossette dans sa joue. La blondeur ondulante de ses cheveux. Même sa stature, tout de sa beauté.
qui le différencient de toi, ses yeux n'ont pas le bleu des tiens, les yeux de mon fils sont couleur caramel, un beau marron chocolaté et profond. Et il est gentil, ce que tu n'étais pas .
Des oiseaux chantent dans les jardins qui sont autour du mien, enserré dans ses murs. Et c'est comme si, chaque jour, j'assistais à un concert sans avoir besoin de me rendre à l'Opera. Mon opéra est un jardin plein de petits chanteurs parfaits. A cela s'ajoute parfois le froissement de leurs ailes, le chatoiement de leurs couleurs. Ils ont l'air de fleurs mouvantes dans les branchages. Des fleurs capable de chanter.
Je me souviens de toi, sifflant dans le jardin, avec les oiseaux. Je n'ai pas le souvenir d'une musique, mais de ta présence qui sentait l'herbe et la sueur. A cela s'ajoutait l'effroyable odeur d'une eau de Cologne mal choisie, cependant, tu sens bon dans mon souvenir. Ton odeur est la plus agréable dont je me souvienne. Ta présence la plus importante et la plus imposante. Rassurante, non .Tu n'étais pas un être chaleureux, tu étais dur, lointain. Pourtant, parfois, j'avais la sensation que je pouvais t'atteindre, t'effleurer.
Je le provoquais souvent, pour avoir le contact de tes mains rugueuses. J'essayais d'attirer le bleu puissant de ton regard, et ce n'était presque à chaque fois, que dureté. Pourtant, il arrivait que tu ne sois rien que douceur, beauté. Que tu resplendisses à m'éblouir, et je t'aimais. Je t'aimais.
Tu aimerais voir encore cet été. Cette verdure, toi qui n'aimais rien d'avantage que la terre. Que les plantes. Que tes serres. Tu semblais en osmose parfaite avec cela. C'était ton univers et vous vous accordiez.
Je te vois, penché, ton piochon à la main, remuant cette terre à sans cesse ameublir pour qu'elle accepte la culture, la materne, la nourrisse. Je te vois provoquer cette magie constante, cet orale, ce miracle . La terre donnera vie, grâce à toi. Grace à ta force, à ton acharnement. Parce que jamais tu ne renonce. Jamais tu n'abandonne. Tu es là, jour après jour, quelles que soient les épreuves, tu te lèves, et tu accomplis ton grand œuvre d'homme.
Une vieille photo t'immortalise sur ta terre, penché sur l'outil, en marcel et bleu de travail, un bob enfoncé sur la tête, tes épaules nues sous un grand ciel d'été. Tu es la beauté même.
Le gris de la photo cache ta blondeur et l'océan orageux de tes yeux. Je sais que ta peau est d'un couleur de pain grillé. Je sais qu'un jour, tu paieras cher de l'avoir exposée et brunie sans savoir ce que pouvait faire le soleil. Mais les images fixent le temps et la beauté. Elles abolissent les rides, les douleurs, les cancers, les yeux grands ouverts sur la mort, que des abrutis n'ont pas fermés.
Devant moi, un cèdre ancien, très haut, dont les branches se déploient en parasol, et ombrent les jardins. Certains voudraient l'abattre parce qu'il perd ses aiguilles sur les toits. D'autres, le protéger, parce que ce genre d'ancêtre se respecte et s'honore. Qui peut avoir le cœur de mettre à terre un tel géant?
J'entends mes pas, ils résonnent dans ma tête, et je ne sais même pas s'ils sont réels. Si mes chaussures faisaient du bruit sur le lino de l'hôpital. Est-ce important, la force de la présence? Le bruit que l'on fait, les mots que l'on prononce ?Tout dépend quand et où ils sont prononcés, par qui et comment ils sont dits. Le ton, l'expression, le geste.
Parfois, on voudrait dire une chose, et c'est une autre qui sort de notre bouche. Ou bien les mots sont à leur place, mais l'autre les a mal écoutés, mal compris, mal interprétés.
Que de manières de se rompre, de se séparer, de se détruire, absurdes et ridicules.
Puis il y a aussi, les regards. On me reproche souvent le mien. Trop dur. Sans concession. Alors que la plupart du temps, je suis ailleurs et je ne vois même pas ce que l'on croit que je regarde.
Toujours cette interprétation néfaste qui ne conduit à rien. Tu sais ce dont je parle, n'est-ce pas?
J'ai au dessus de moi, un ciel tacheté de nuages blancs, je pense à toi, mon père, je pense à toi...Et je sais, je sais...Les regrets ne servent à rien.
Verdance.

Retour à la maison
Le placard était tout petit. Je me suis demandée comment on avait pu m'enfermer à l'intérieur. Peut-être parce que moi aussi, j'étais petite, une fillette de quatre ou cinq ans.
J'ai trouvé toute la maison banale et insignifiante. Cette baraque dans laquelle j'avais tant cauchemardé ne ressemblait à rien. Elle n'était ni effrayante, ni impressionnante, elle semblait juste avoir souffert autant que moi. J'ai été étonnée que tous les meubles de mes parents aient pu trouver un jour leur place entre ces murs vides. Et, de la même manière, comment toutes les douleurs que j'avais en moi, avaient pu naître ici, dans cette maison qui paraissait avoir perdu son âme. J'ai cherché les fantômes en vain. Des photos restées accrochées aux murs, des souvenirs, rien! Seulement, dans l'écurie, le buffet de ma grand-mère, auquel était accroché un petit ours en peluche rouge que ma mère aimait beaucoup.
Puis la serre de mon père, porte ouverte, vitres brisées, avec ses pots renversés, ses fleurs sèches, et des étiquettes sur lesquelles étaient encore notés des prix obsolètes en francs.
J'avais à la fois envie de m'enfuir le plus loin possible, et le désir d'acheter cet endroit pour lui rendre son ancienne apparence, mais je n'en avais pas les moyens. L'aurais-je vraiment fait si j'avais pu? Je l'ignore . Réveiller ces lieux? Les raviver comme une braise, et peut-être, me brûler?
Car , en effet, c'est cela que je risquais, de m'y consumer toute entière.
C'était une maison longue à un étage, flanquée de fenêtres modernes qui dénaturaient sa façade en pierre. Devant à gauche, une petite véranda construite par mon père, contre laquelle, à sept ou huit ans; j'alignais mes poupées pour leur faire l'école. A gauche également, une ancienne écurie, un pigeonnier et une longue serre basse au toit carré. A droite, collé à la maison, un puits arrondi et un vieux lavoir. Voilà l'apparence, à peu près, de cet endroit. Devant, une terrasse bétonnée. Lorsque j'étais enfant, elle était en gravier gris, et j'aimais le bruit que cela faisait sous les pas. Et il y avait deux saules, l'un assez droit, au dessus d'un trou d'eau dans lequel je relâchais les poissons rapportés de la pêche par mon père, en croyant les sauver. L'autre, saule pleureur majestueux, dont j'aimais le frôlement des branches. Je m'appuyais contre son tronc pour lui parler. Me confier à lui. Parler à un arbre qui ne comprend rien, ou qui comprend tout. Un matin, le grand saule était couché sur la terrasse, abattu par une tempête. Il fut relevé par mon père qui l'abattit quelques années plus-tard.
Je ne fais pas de réelle différence entre les humains et le reste de la vie, végétaux, animaux. Peut-être parce que, lorsque j'étais une petite fille, je trouvais d'avantage d'amour auprès des arbres et des bêtes. J'appréciais leur calme, leur douceur. Leur présence me rassurait . Les humains n'étaient que doutes et chaos. Quand on est entouré de fous qui bousculent sans cesse, l'ombre du saule est le seul refuge et plutôt que trois sœurs perverses, le chien qui grogne quand elles s'approchent, est votre allié.
On voudrait résorber son passé, mais on ne peut que faire avec. La maman que je suis, celle que mon fils serre dans ses bras en disant: "Tu es la meilleure mère du monde"( Le pense-t-il ?)Mon Dieu, moi et mes erreurs à foison! Cette maman, qui essaie de faire de son mieux pour conjuguer son passé mal aimé avec l'amour qu'elle veut savoir donner à ses propres enfants. Conjuguer les erreurs de sa mère avec celles qu'elle ne veut en aucun cas répéter...Cette maman voudrait pouvoir se pencher un instant au travers du temps, comme d'une porte entre deux pièces, extirper la petite fille de son placard, la serrer dans ses bras, la rassurer. Lui dire que la plupart des choses qu'elle entend, des paroles qui lui sont directement adressées, sont fausses. Des mensonges malveillants inventés par sottise et moquerie, les deux allant souvent de paire. Qu'une bonne dose de méchanceté vient clore le tout, et qu'elle n'est en aucun cas responsable de ce cocktail explosif dont ceux qui l'entourent, sont gourmands.
Elle n'est que la victime naïve et innocente d'un jeu brutal. Ils devraient , tous autant qu'ils sont, la protéger, l'aimer, comme tout enfant le mérite. La regarder et l'écouter, à défaut de pouvoir la comprendre. Et ne pas se servir d'elle dans leurs joutes d'adultes. Mais son innocence les amuse et excite leur bestialité. Elle ne peut leur en vouloir que de leur ignorance. Je voudrais lui dire qu'il faudra quarante ans pour qu'elle comprenne qu'elle n'a rien fait, commis aucun crime, même pas celui d'être née, non désirée, en mars 1969, année sensuelle parait-il. Cette fin de décennie où la plupart des gens avaient peut-être la tête dans les étoiles, et où elle, glissait du ventre froid de sa mère pour arriver au cœur d'une famille haineuse.
Pourtant, je me souviens des couleurs de mon enfance, des oranges, des verts criards, des jaunes solaires. Je me souviens de la tapisserie aux formes géométriques. Je me rappelle les poufs en peluche, les bottes hideuses en poils de je ne sais quoi, que l'on s'acharnait à m'acheter. Des poulbots, des sièges en plastique gonflables, des buffets en formica, de la cocotte minute de ma mère sur la fenêtre de la cuisine, du robot broyeur de café, des lapins égorgés devant l'écurie et pendant que je les tenais, leurs mouvements saccadés, quand mon père tirait leur peau comme un vêtement qu'on retire. Et de mon oncle qui me fait choisir un chiot dans un plat qu'il enfourne sitôt que j'ai choisi. Et de ma grand-mère qui crochète des napperons multicolores sous sa Permanente de cheveux bleu et rose pâle. Et de mon grand-père assit dans son fauteuil rouge, qui regarde la playmate à la télévision en trouvant le spectacle "épatant" et en mangeant des bonbons verts. Et tous ces souvenirs tournoient dans ma tête, comme un manège tandis que je referme la porte de la maison.
Verdance
